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Sous liberté

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Des cambriolages de leurs appartements aux agressions physiques, les journalistes serbes peinent à exercer leur métier. Depuis dix ans, la situation se détériore. Pourtant protégée par la Constitution, la liberté de la presse laisse comme une tâche noire sur la procédure d’entrée de la Serbie dans l’Union européenne.

Le téléphone sonne. En ce jour d’octobre 2017, le père de Slaviša Lekić, un journaliste serbe de renommée nationale, répond innocemment à l’appel. Au bout du fil, son interlocuteur ne se présente pas.  « Savez-vous ce sur quoi votre fils écrit ? », lui lance l’inconnu avant de proférer des menaces de mort à son encontre. Vue d’Europe occidentale, la scène peut étonner. C’est pourtant le lot quotidien d’un journaliste en Serbie. L’hostilité de la population envers la presse, savamment entretenue par le gouvernement, n’a d’ailleurs cessé de croître ces dix dernières années. Selon Stevan Dojčinović, cofondateur de Krik, un site Internet d’enquête sur la corruption et le crime organisé, « l’implication du président de la République serbe dans cette campagne anti-médias est indéniable ».

 

MUSELEE COMME JAMAIS

Force est de constater que la plupart des grands quotidiens du pays sont dirigés par des proches d’Aleksandar Vučić. Parmi eux figure Informer, qui a étalé la vie privée de Stevan Dojčinović sur la place publique. Dès le début de notre rencontre avec lui, le journaliste fait part de ses appréhensions. « Qu’est-ce qui vous dit que nous ne sommes pas surveillés par les services secrets ? C’est déjà arrivé. » À 32 ans, le Belgradois a déjà essuyé de nombreux coups de la part de l’exécutif serbe et des journaux qui lui sont fidèles. « Ils ont dévoilé des textos que j’adressais à ma compagne, s’exaspère le journaliste. Ils n’ont pas non plus de scrupule à déformer la vérité quand ils me font passer pour un sadomasochiste. »

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Stevan Dojčinović est le cofondateur de Krik, un site web d'enquête sur la corruption et le crime organisé.

L’Association des journalistes indépendants de Serbie (Nuns), que préside Slaviša Lekić, estime que seule une dizaine de médias exercerait sans interférence de la part du pouvoir exécutif. « Pour que la parole officielle se vende, la stratégie médiatique impulsée par le gouvernement consiste à casser les prix des principaux titres », explique Stevan Dojčinović. Un numéro de Informer coûte 20 dinars, soit 17 centimes d’euro seulement. Sans abonnement à un média indépendant, les Serbes n’entendent qu’un son de cloche.

 

La Serbie figure à la 66ème place du classement de la liberté de la presse 2017, publié par Reporters sans frontières. Une position qui permet au gouvernement de se targuer d’un relatif respect de l’indépendance du journalisme, alors que le pays a tout de même perdu sept places en l’espace d’un an. « Les médias serbes se trouvent dans la pire situation qu’ils n’aient jamais connus », estime Slaviša Lekić. Status, son magazine, a été contraint à la fermeture du fait d’une interdiction de diffuser de la publicité. « Le gouvernement prend les annonceurs à la gorge, a pu constater le journaliste, qui écrit désormais un éditorial tous les lundis dans le journal d’opposition Danas. S’ils achètent des espaces publicitaires dans des titres peu conciliants, l’exécutif envoie l’inspection financière vérifier leurs comptes. »

 

La même logique s’applique aux sources d’information, devenues « très difficiles à protéger ». « L’une des miennes est atteinte d’un cancer. Elle s’est faite renvoyer de son job au prétexte de sa maladie », confie Stevan Dojčinović, écœuré. Selon le président de Nuns, cette politique autoritaire envers la presse conduit par ailleurs à « un gâchis de jeunes talents ». Les étudiants-journalistes d’aujourd’hui effectuent leurs stages dans des médias de plus en plus standardisés, aseptisés. « On commence par leur expliquer ce sur quoi ils peuvent écrire ou non. Cela les façonne d’une mauvaise façon », détaille Stevan Dojčinović, qui espère aider à inverser la tendance grâce à Krik. Le journaliste l’assure : « Le fond du problème n’est pas à trouver chez les professionnels, mais dans la politique gouvernementale. »

 

 

Kiosque

Les journaux les plus lus sont souvent dirigés par des proches du président Aleksandar Vučić.

LA LUMIERE AU BOUT DU TUNNEL

Sans ambiguïté, Slaviša Lekić et Stevan Dojčinović soutiennent l’entrée de la Serbie dans l’Union européenne. En tant que citoyens, pour permettre à la démocratie de continuer à gagner du terrain dans le pays. Mais aussi en tant que professionnels. « À l’heure actuelle, l’UE est la seule institution à pouvoir pousser en faveur d’une plus grande liberté de la presse en Serbie, assure le journaliste de Krik. Il faut la considérer comme une sorte de professeur. »

 

À ce jour, le chapitre des négociations concernant les médias n’a pas encore été ouvert. « L’Union européenne focalise son attention sur d’autres points, comme la situation au Kosovo ou la corruption. Et elle a tout à fait raison tant il y a à faire », concède Stevan Dojčinović. Pour le milieu journalistique serbe, l’UE ne doit pas pour autant tomber dans le piège d’un gouvernement qui se contente de « maintenir les apparences ». « Nous rappellerons autant qu’il le faudra que le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour nous empêcher de faire notre travail. Tout, sauf nous mettre en prison. Cela ferait tâche à l’heure de la procédure d’adhésion à l’UE », ironise Stevan Dojčinović.

 

Krik, mais aussi Birn, Cins ou Insajder… Les sites Internet d’investigation constituent une vraie alternative aux médias traditionnels. Slaviša Lekić voit l’avenir du journalisme indépendant sur le Web, « une muraille face aux attaques incessantes du gouvernement ». Montrant ses ongles rongés par le stress, Stevan Dojčinović vit en se demandant en permanence « ce que le gouvernement lui fera le lendemain ». À sa journée de huit heures de travail s’ajoutent quatre heures pour gérer les procédures judiciaires et autres menaces. « Quand 60 % de la population de ton pays pense que tu es un criminel, être journaliste revient quelque part à jouer au héros. » Comme tout journaliste, la satisfaction de sortir des informations justes et utiles lui permet néanmoins de tenir la pression qui est mise sur lui. « Parfois, quand je publie des enquêtes à propos de politiciens pourris, des personnes créent des mèmes [des images détournées de manière parodique et diffusées massivement sur Internet, N.D.L.R.]. Dans un système où la corruption est reine, c’est quelque part la meilleure punition que l’on puisse infliger à ces criminels. »

LIBERTÉS

 

 

Avec la chute du régime de Milošević, en 2000, la Serbie a amorcé sa transition démocratique. De nouvelles libertés fondamentales devront être garanties dans le cadre des négociations pour l'adhésion à l'Union européenne. 

 

La société serbe reste très conservatrice. La liberté de la presse n'est pas assurée. Les journalistes indépendants subissent régulièrement toutes sortes de pressions. Le combat pour la liberté d'expression passe aussi par les droits LGBT. Les relations homosexuelles ont été autorisées en 1994. Elles restent pourtant marginalisées, contraignant la communauté à vivre clandestinement.

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